Débauche de moyens dans les nouveaux boîtiers photographiques

08/08/2015 à 22:51

cocagne

Par Thomas Bourdeau Sur RFI
  • Article intéressant faisant à l'époque suite à une conversation entre l'auteur et Phillipe Chaudré
  • Pour info ceux qui voudraient suivre des cours sur Photoshop bien tenus et productifs peuvent s’intéresser à ce photographe  qui est aussi un auteur de livres techniques Pour mémoire il y a une différence entre un photographe disant être "reconnu" par Adobe et un autre qui a un statut de formateur certifié, le premier est peut être capable mais nul ne le sait à l'avance le second apporte la garantie d'une formation certifiée par l’éditeur du logiciel


Dans la journée du 10 juin, comme on exhibe des Formule 1 à la sortie du paddock, les marques Sony et Leica ont présenté leurs nouveautés. Chez Sony, la photographie peut devenir aussi film en qualité 4K, alors que chez Leica, la sobriété de leur éternel boitier vintage camoufle une débauche de haute-technologie. Bienvenue dans le monde des amoureux des modes d’emploi ! Un univers où la guerre des millions de pixels sur les capteurs ne cesse jamais (près de 50 millions aux compteurs de certains). On peut aussi parler d’une débauche dans les prix. Quand un Hasselblad peut valoir près de 23 000 euros,  Nikon,  Canon comme Pentax ont des produits atteignant allègrement les 7 000 euros. Ambiance : souriez, vous allez payer !

Comme les montres suisses, les boitiers reflex ou hybride seraient-ils en passe de devenir un produit de luxe ? Mais où en est l’usage de la photo dans cette débauche de technologies ?

Le quart des photos bénéficie d’un tirage papier

Selon une récente étude Fuji, pas plus de 50 % des photos numériques sont stockées voire regardées plus tard. A peine 30 % sont partagées en ligne. Le quart bénéficiera d’un tirage papier et juste 15 % aura l’honneur de finir dans un livre photo. Les raisons invoquées par ces nouveaux usagers du numérique ? Pas le temps et c’est trop long de trier, selon ces fidèles de la dictature du selfie qui rivalisent d’autoportraits à tour de bras. Alors pourquoi autant de technologie, est-on en droit de se demander ?

« On utilise le maximum de chaque pixel »

Édouard Schmitt, chef produit Gamme reflex et hybrides chez Sony, explique : « Le marché global est en baisse de 20 à 25 pour cent. Il souffre de l’arrivée des smartphones. Mais par segment, on voit que certains restent en croissance comme le domaine du compact expert et l’hybride. » Il nous parle de la nouveauté Sony : « Pour l’Alpha c’est une stratégie de la marque qui propose un boitier compact léger et accessible avec un capteur plus performant. » On parle ici de très haute résolution avec 102 400 ISO et 42 millions de pixels sur un capteur rétro-éclairé permettant d’augmenter la sensibilité quand la lumière baisse. Le dernier né chez Leica est plus urbain et dédié à la photographie de rue, d’architecture et de paysage. Le boitier « Made in Germany » cible sur 24 millions de pixels et jusqu’à 50 000 ISO. « On utilise le maximum de chaque pixel, leur surface entière,  explique Edouard Schmitt. Sony va plus loin dans la technologie pour toucher plus de photographes experts.  Alain Kernevez« On se sert d’un faible pourcentage du potentiel des boîtiers »

Un son de cloche parfois un brin différent chez les utilisateurs face à cet argumentaire de marchand. Ainsi Alain Kernevez, photographe professionnel, explique : « C’est la course au plus technologique pour les fabricants, mais pour les usagers il n’y a aucun gain valable de suite. Quasiment tous les pros en photos et vidéos se servent d’un faible pourcentage du potentiel des boîtiers. On a tous nos réglages, on sait ce qu’on fait sur du portrait, sur de l’architecture, mais personne n’a le temps au moment où tu es sur un sujet de réfléchir et se dire : Ah tiens ils ont inventé un nouveau truc, je vais l’essayer !  », sourit-il.

Philippe Chaudré, photographe formateur et écrivain, constate : « Le monde de la photo souffre. Chez les fabricants, c’est la dégringolade. Pour eux l’essentiel maintenant est de remarger, car en vendant des boitiers à 500 euros, ils se sont épuisés. Il faut dire que le numérique a perdu tout le monde et l’arrivée de l’iPhone a totalement déstabilisé ce marché. Apple dérange avec ses photos “réalisées avec un iPhone 6” qu’on voit en affichage dans les stations de métro. Bon, en tout petit on peut lire que c’est une photo retouchée mais ça personne n’y fait attention. Et parfois aussi on est en droit de se demander : mais pourquoi porter un truc si lourd ?  » La menace iPhone devient quasi danger quand s'annoncent des accessoires comme le DxO One. Ce mini boîtier pourra s'enclencher sur l'iPhone et permettra alors d'atteindre une qualité photo quasi égale à celle d'un reflex avec 20 millions de pixels.

« Comme des Porsche qui font du 45 km/h dans les rues" dit Philippe Chaudré On a observé également une tendance du boîtier qui se rétrécit sans perdre en technologie. Il est loin le temps du boitier Canon gros comme une arme à feu ambiance safari photo, la tendance est plus au rétro comme chez Olympus avec un boîtier mini et un capteur costaud. Fuji joue sur le même segment, même pour les pros.
Alain Kernevez : « Il y a un leurre marketing parfois. Le progrès n’est plus le dépassement de ce qui existe mais juste se décaler par rapport à ce qui existe. Il y a aussi l’idée de revenir à un âge d’or où les choses étaient lentes et imprimées comme avec Polaroid ou Leica. »

Philippe Chaudré : « Là, ce sont de véritables bijoux, mais cela me fait penser à ces Porsche qui font du 45 km/h dans les rues de Paris. On a accès à une monstruosité de technologie, mais pourquoi ? Bon, tu es content, tu as un super truc, mais tu n’en feras rien. Mais bon voilà, tu l’as ta Porsche !  » s’amuse-t-il.

Alain Kernevez : « Qui peut regarder de la vidéo 4K ? Je ne sais pas, franchement, à part des plateformes vidéo expérimentales. Pour moi c’est juste le mieux disant technologique et aussi tenter de casser l’avance de Canon sur le marché. Très concrètement, la majorité des entreprises avec lesquelles je travaille sont encore sous Windows XP comme système informatique. Alors, ce n’est pas la peine d’aller plus loin. La vidéo 4K sous XP c’est inexistant », s’amuse-t-il.

La reconquête d’un marché pour une génération Instagram

Les fabricants rouleraient-ils dans le mauvais sens ? Pas forcément, tout va juste un peu trop vite parfois : « Cette différence technique sert-elle à quelque chose dans la vie courante d’un professionnelle ? Peut être dans cinq ans, mais là tout de suite non », explique Alain Kernevez. « En 2016, vous n’aurez pas besoin de changer d’appareil », est-il argumenté chez Sony. C’est aussi la reconquête d’un marché pour une génération qui est née avec un téléphone portable dans les mains pour partager ses clichés sur Instagram et qui maintenant redécouvre le monde de la photographie ; un peu comme la génération Spotify s’accroche au format vinyl : « L’idée aussi serait de voir ou faire des photos différemment. Cela reste malgré tout des pixels à plat en deux dimensions. Après, on rentre dans d’autres technologies, d’autres mediums, ils ne sont pas encore inventés. Mais on aura sans doute besoin de ces technologies, détaille Alain. Pendant longtemps ainsi, Hasselblad, c’était de la super définition, ils avaient des formats spéciaux, ils ne rentraient pas dans les logiciels comme tout le monde, c’était Hasselblad. Maintenant, il y a d’autres marques qui essaient de rentrer sur le même créneau, amener une différence technique. »

« Une rébellion face au numérique »

L’idée sous-jacente également serait aussi de surfer sur une mode rétro au niveau du look et en même temps hyper techno au niveau de la construction et de la sophistication. On assiste même à un retour vers l’argentique pour pas mal d’amateurs, « mais ça, les marques ne savent pas le gérer encore », explique Philippe Chaudré. Alors de petits ateliers s’installent, on voit presque poindre « une rébellion face au numérique », explique Emily Mathé de chez Sels d’Argent qui fait du développement et tirage papier en noir et blanc. « Nos clients sont des pros, mais aussi beaucoup de jeunes amateurs qui s’amusent avec ses formats classiques de la photo. L’argentique est loin de se perdre », souligne-t-elle. « Mes étudiants en argentique, ils apprennent ce que c’est que la photo. Ils voient que c’est dur à maîtriser, mais c’est surtout cela, la photo. On sort juste du look vintage », conclut Philippe Chaudré.